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La ballade de l’autobus

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Rendez-vous au centre-ville, dans ce joli village que j’ai habité, jadis. La rue de Laeken, les vieux quais, le KVS… Le 71 est le bus le plus inconfortable que je connaisse jusqu’ici – la suspension était en option sur ce modèle et la STIB a choisi de faire des économies – mais je ne dois pas lui trouver une place de parking pendant que je bosse, il poursuit sa ronde entre De Brouckère et Delta,  faisant valser les petits vieux qui s’agrippent aux mains courantes. A 10 heures, en été, la plupart d’entre eux sont assis, ça restera marée basse aux urgences.

A l’aller, c’est édenique.

Devant moi il y a deux mamans avec des poussettes et les bambins qui vont avec. Un mignon jaune homme et un joli Mohammed que cornaque une dame voilée sans ostentation, élégante dans sa mise colorée mais stricte. Arrive un troisième carrosse de compète, adroitement piloté par une mama africaine. Le mioche, qui doit avoir dans les trois ans au compteur, rêve à l’évidence d’un petit casse-dalle. Il plonge sa petite main potelée dans le décolleté de sa mère et en sort sans façons le biberon bio  bien caréné, toujours prêt sous la blouse, qu’il entreprend illico de téter au goulot, comme un vrai petit mec.

Et Margot, qui est simple et très sage, imagine que c’est son môme qui adoucit les regards qui convergent. Elle rassied le petit dans sa poussette, puis remet à couvert le joli robert avitailleur. Elle échange quelques mots enjoués avec la dame du Maghreb, pas bégueule, qui la complimente pour le bel appétit du petit homme.

Mon rendez-vous s’est bien passé.

Sur le trajet du retour, c’est un mash-up de Germinal et de L’Assomoir.

J’ai une certaine sympathie, j’avoue, pour les ivrognes; je suis plein de respect et de compassion pour ceux que la société piétine, même les Belges bien blancs sous la crasse, je ne suis pas raciste, oh que non. Mais celui-là est too much, il n’a jamais été Bukowski, ce n’est même plus Tartempion. Il vacille et titube dans le bus à l’arrêt, s’écrase sur une banquette avant qu’il s’ébranle, clope incandescente au bec et canette dégoulinante à la pogne. Les deux Japonaises qui lui font face, à leur grande honte, ne peuvent cacher une légère surprise. Elles s’effacent discrètement devant le seigneur de la bière qui en profite pour étendre ses guibolles et installer ses baskets pouilleuses sur le siège d’en face.

Le bus démarre. Le troll interpelle les infortunés qui l’environnent, il reluque salement les filles et n’oublie pas, à chaque fois que le besoin s’en fait sentir, de lâcher un glaviot glaireux qui, au hasard d’un cahot, ajoute au décor de son blouson miteux. A Ducale, un jeune couple africain entre en scène. Elle est enceinte jusqu’aux yeux. Il la dévisage, l’appelle comme si l’homme, trop bien élevé, n’existait pas. Elle, mine de rien, conserve son port altier de princesse. Son compagnon reste de glace.

Ils descendent à Flagey. Au moment où s’ouvrent les portes, le grand Noir aux yeux doux se retourne et on l’entend pour la première fois:

- Hé, gars…

Et avant de sortir, sans colère, d’un geste délié, il balance la torgnole qui soulage qui la donne et fait du bien à qui la reçoit. Ou devrait.

La loque encaisse sans ciller, sans piper mot. Il est trop loin déjà pour être encore humilié. C’est là que je ressens enfin pour lui de la pitié.

Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis
Car si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci.


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